Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du mardi 30 avril 2024 à 15h00
Motion de rejet préalable — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Puisqu'il s'agit d'une proposition de loi, le texte n'a pas donné lieu à une étude d'impact ni à un avis du Conseil d'État. Cela a son importance, certes, et peut-être encore davantage ici car toutes les raisons qu'a avancées le rapporteur pour défendre le texte se résument à des arguments d'autorité jamais étayés. Par exemple, M. le rapporteur a affirmé que la proposition de loi permettrait de combattre les ingérences étrangères et de lutter contre l'application extraterritoriale du droit américain, mais il n'en a pas fait la démonstration. Citez-nous donc des cas d'espèce dans lesquels le texte aurait fait une différence ! Il n'y en a pas, et pour cause : la principale arme d'ingérence dont disposent les États-Unis d'Amérique sont le dollar et la régulation de l'accès à leur marché, et elle ne saurait être combattue par aucune disposition relative à la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise.

Vous dites aussi vouloir améliorer la compétitivité des juristes d'entreprise français, affaiblie par l'absence de confidentialité. Dans le même temps, vous vantez le dynamisme de cette profession et rappelez que la France compte plus de 20 000 juristes d'entreprise ; tout de même, ce n'est pas mal pour une profession peu compétitive ! On se demande à quoi s'occupent ces 20 000 juristes, s'ils ne sont pas compétitifs et si les entreprises ne font pas appel à eux lorsqu'elles en ont besoin. Encore une fois, il s'agit d'un argument d'autorité qui ne s'appuie sur aucune démonstration.

Vous expliquez ensuite vouloir éviter que les entreprises s'auto-incriminent. Si je comprends bien, vous considérez qu'une entreprise commettant des infractions ne doit pas en être informée car cela pourrait la conduire à admettre qu'elle en a commis. Où est le problème, selon vous : est-ce le fait que les entreprises commettent des infractions ou le fait qu'elles pourraient être amenées à le reconnaître ? On voit transparaître ici l'intention qui anime le texte.

Je souhaite à présent souligner un point crucial : si votre proposition est adoptée, le juriste d'entreprise servira de fusible. En effet, s'il rédige un document dans lequel il estime que son entreprise est en faute, il ne sera pas libre de lever la confidentialité ; ce privilège reviendra au chef d'entreprise, qui pourra se décharger de sa responsabilité sur le juriste. D'ailleurs, l'infraction que vous créez n'est pas attachée au document mais à la personne du juriste. Quant au dirigeant, il n'est jamais concerné ; il ne risque aucune sanction, même s'il a demandé au juriste de garder confidentiel un document qui n'aurait pas dû le rester. Cela montre à nouveau quelle intention vous anime.

Quant à l'auto-incrimination, je crois que le garde des sceaux est bien placé pour savoir qu'un document peut donner la preuve du caractère intentionnel d'une infraction. Au fond, le cas du chef d'entreprise consultant son juriste ressemble un peu à celui d'un ministre demandant à sa directrice de cabinet s'il devrait ouvrir une enquête administrative, pour ensuite se décharger sur elle de toute responsabilité : « Ce n'est pas moi, on m'a dit de le faire, je n'avais pas conscience que j'étais en train de commettre une infraction. »

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